Chronique4Impact

L'impact des filières ingrédients cosmétiques sur la biodiversité (3/4)

Par Olivier BEHRA, le

Karité - Photo Unsplash x Olivier B.

@unsplash

Les besoins d’engagement sont clairs et tous les grands groupes ont défini des stratégies mettant de plus en plus de pression à leurs fournisseurs pour que ces derniers leurs permettent de garantir aux consommateurs la maîtrise des approvisionnements d’un point de vue éthique et environnemental.

La difficile limite entre l’action, la communication sur ses actions et la perception de greenwashing

Cela apparaît cependant complexe, même pour les plus riches et les plus motivés des fournisseurs, tant ils ont d’offres de produits venant de la planète entière. Givaudan annonce ainsi un objectif de traçabilité totale de ses ingrédients … pour 2030. Cela voudrait dire que d’ici là ils ne pourront pas garantir qu’il n’y ait pas de travail des enfants ou de menaces sur les ressources naturelles et l’environnement ?

La tentation est grande de mettre l’accent sur des actions portant sur l’une ou l’autre de ces filières aux impacts les mieux maîtrisés. 

Pour Lancôme « Protéger, préserver et restaurer la biodiversité » – qui est annoncée au cœur de la stratégie du groupe L’Oréal – « commence par limiter l’empreinte environnementale agricole à travers une agriculture plus durable et équitable ». En pratique, la marque annonce comme action avoir développé les plantations de tubéreuse (Polianthes tuberosa) sur un domaine de quatre hectares cultivées en bio à Grasse à la place de ses approvisionnements traditionnels en Inde.

Est-ce cela la préservation de la biodiversité ?

La tubéreuse a été découverte lors des conquêtes espagnoles du nouveau monde. Le tout premier bulbe aurait été rapporté du Mexique à Grasse pour y être cultivée en 1530 par un missionnaire français, avant de voir sa production bien plus tard se développer en Inde, en Égypte, au Maroc, aux Comores et en Chine.

Il existe 5 autres espèces de tubéreuse qui sont, soit considérées menacées dans la nature (Polianthes howardii et P. platyphylla), en danger critique d’extinction (Polianthes densiflora et P. longiflora) ou même probablement éteintes pour Polianthes palustris. Aucune de ces plantes n’existe dans les aires protégées mais les biologistes mexicains pensent qu’il serait tout à fait possible de développer des programmes d’utilisation durable ou de multiplication végétative qui permettraient de leur éviter de disparaitre (Feria-Arroyo & al (2010)).

Est-ce que s’engager pour cela ne serait pas une belle action pour la préservation de la diversité biologique des Tubéreuses ?

 

Des engagements réels sont-ils possible ?

Chanel il y a encore dix ans n’avait aucun besoin de communiquer sur de quelconques engagements environnementaux ou sociaux. Lorsqu’en 2011 le PDG de Chanel Parfum Beauté me signait un contrat pour analyser les filières d’ingrédients naturel issus de 30 de ses fournisseurs, c’est parce que j’avais intégré dans mon outil d’analyse, la biodiversité.

La première fois que je l'ai rencontré (alors que je travaillais pour ses équipes de recherche au développement de nouveaux actifs), nous avons échangé sur la biodiversité et ce qui l’a marqué lors de cet échange « Je ne vous parle pas d’animaux ou de jolies plantes, je vous parle du capital de développement de votre entreprise ». Une entreprise a de la valeur par ce qu’elle rapporte mais tout autant par sa capacité de développement.

Les chercheurs de Chanel, mais aussi de Yves Rocher par exemple, venaient me solliciter pour les conseiller pour trouver les actifs de demain dans les plantes locales, et pourtant aucune des entreprises n’était impliquée dans la préservation de ces plantes locales. De fait, à Madagascar, les forêts naturelles et leur biodiversité partaient en fumée de façons dramatiques.

Le PDG de Chanel a bien pris conscience de la problématique et nous avons commencé à développer des programmes de conservation de la biodiversité autour de premières filières :

  • au Burkina Faso, autour de la grande faune africaine qui partage l’habitat du Karité
  • au Cambodge où se trouve le Konjac dans des zones où il y a encore des tigres à protéger
  • au Cameroun premier producteur africain d’huile de palme où une production innovante pourrait servir la conservation du très menacé gorille de cross river
  • à Madagascar autour de l’exceptionnel gingembre local produit avec les communautés locales du sanctuaire de biodiversité de Vohimana
  • en Nouvelle Calédonie dans les îles productrices de Santhal qui abritent des espèces de faune et de flore menacées uniques au monde

Andrea d’Avack était un chef d’entreprise efficace et rigoureux mais aussi un visionnaire et un humaniste. Il n’est pas simple pour un PDG de grande entreprise d’impliquer ses cadres et ses finances dans des actions profondément innovantes de ce type. 

La PDG qui a pris la suite a poursuivi le travail d’assainissement des filières et de réduction des émissions de CO2 mais a renoncé à l’implication dans de réels projets de conservation de la biodiversité.

Les produits devront s’engager à avoir des impacts positifs sur l’environnement.

 

Auteur : Olivier Behra, Expert Biodiversité People4Impact 

Olivier Behra intervient auprès de différentes organisations afin de favoriser et de développer des approches favorables à l'environnement et à la biodiversité. Il travaille aussi avec de nombreuses institutions d'aide au développement et d'ONG internationales pour soutenir des projets de conservation de la nature et de défense des droits humains.