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Le devoir de vigilance européen : comment les entreprises peuvent-elles se préparer ?

Par Catherine Jagu, le

Devoir de vigilance européen

Pixabay - Image Leonardo1982

La France était jusqu'alors le seul pays européen à avoir introduit un devoir de vigilance aux multinationales. Conscient de la nécessité d'étendre et renforcer cette obligation à toute l'Europe, le parlement européen a voté, le 10 mars 2021, ce projet de législation.
 

2021 : l’année du momentum européen

2021 est une année cruciale pour la finance responsable en Europe en complément des nombreuses transformations liées au Green Deal : mise en œuvre du règlement Disclosure et de la taxonomie, nouveau reporting extra-financier, initiatives pour une gouvernance responsable.

L’Europe prépare notamment une législation sur le devoir de vigilance qui va bien au-delà de ce qui existe au niveau français. Cela ne concerne pas seulement le périmètre applicable qui s’étendrait à toutes les entreprises de plus de 250 personnes, mais aussi les actions attendues des entreprises. Ces nouvelles exigences requièrent une approche systémique par les risques pour prévenir les impacts négatifs sur les droits humains, l’environnement ou la gouvernance. Elle est aussi assortie d’un mécanisme de plaintes et d’accès à la justice pour les victimes.

Il serait facile de réagir à cette initiative en tant que juriste et de s’effrayer des conséquences pour les entreprises. Pourtant, ce serait contre-productif, puisque les investisseurs soumis au règlement Disclosure, vont eux-mêmes de leur côté demander aux entreprises cette même approche d’identification des impacts négatifs potentiels sur les droits humains ou l’environnement.

La prise de conscience de l’importance des entreprises pour la société comme pour l’environnement est réelle, tant chez les politiques, les ONG que chez le grand public. C’est une chance pour les entreprises responsables (entreprise à impact, entreprise à mission…) et celles qui se projettent dans l’avenir à moyen ou long terme, dans un contexte d’incertitude et de crises multiples et exacerbées à tous les niveaux. Il est question de leur faciliter l’accès aux capitaux et de rééquilibrer les termes de la concurrence mondiale en leur faveur.

Il est important de détailler une future réglementation européenne qui peut encore bouger mais qui influencera indéniablement les échanges mondiaux.

 

Que contient ce projet de directive européenne de nouveau par rapport à la loi française ?

Le futur devoir de vigilance européen tel qu’il apparait dans la proposition du Parlement Européen présenté le 8 mars 2021 va plus loin que la loi française.

Le champ d’application proposé est plus large, puisqu’il concerne :

-    Les entreprises de plus de 250 personnes et les PME lorsqu’elles sont cotées en bourse ou dans un secteur à haut risque,

-    Les entreprises domiciliées en Europe et à celles commercialisant des produits et services en Europe,

-    L’ensemble de leur chaîne de valeur amont et aval - fournisseurs et clients - y compris leur chaîne d’investissement.

Les obligations de vigilance des entreprises sont plus précises :

-    Il s’agit non seulement de satisfaire à leurs obligations en matière de respect des droits humains, de l’environnement mais aussi de la bonne gouvernance,

-    Elles ne doivent ni causer ni contribuer à causer des incidences préjudiciables potentielles ou réelles sur les droits de l’homme, l’environnement et la bonne gouvernance par leurs activités ou des pratiques liées à leurs activités.

-    Une méthode de prévention leur est imposée sur l’ensemble de leur chaîne de valeur y compris aval : identifier, évaluer, prévenir, faire cesser, atténuer, surveiller, suivre, communiquer et traiter les incidences préjudiciables potentielles ou réelles sur les droits humains, l’environnement et la gouvernance que leurs activités et celles de leurs chaînes de valeur pourraient engendrer, puis rendre compte de ces incidences et y remédier.

Les mécanismes de surveillance, de sanction et d’accès à la justice sont explicites :

-    Des autorités nationales compétentes dédiées sont prévues avec des pouvoirs d’enquête, de réception des plaintes et de sanctions,

-    Les entreprises pourront être tenues responsables des incidences préjudiciables qu’elles causent ou contribuent à causer : responsabilité civile et obligations de réparation des préjudices,

-    Les victimes pourront bénéficier d’un accès facilité à des voies de recours, y compris collectivement, aux niveaux national et européen.

 

Comment les entreprises devraient se préparer ?

Dans un premier temps, l’entreprise devrait adopter au plus haut niveau un changement culturel de management. Il s’agit d’élargir son horizon au-delà des flux financiers à court terme générés par l’entreprise. Le top management devrait accepter que l’entreprise par ses activités a des effets sur la société et l’environnement et doit tourner son regard sur ce qui l’entoure : inside-out base de la double matérialité. Il s’agit enfin d’accepter que le risque fait partie de l’activité et trouver le moyen de le gérer dans une approche de prévention.

Dans un second temps, l’entreprise doit capitaliser sur l’existant en utilisant des méthodes classiques de construction d’une stratégie, de gestion de projet et de coopération avec les parties prenantes pour bâtir une stratégie de vigilance. Il est nécessaire de construire une culture partagée du risque et développer une approche décomplexée et rationnelle à tous les niveaux de l’entreprise en s’appuyant sur les retours d’expérience de fonctions qui pratiquent la prévention des risques depuis des années (qualité, santé, sécurité, finance, environnement…). Pour mesurer la performance et l’efficacité des systèmes d’informations et d’audit, le système d’alerte interne peut être un outil complémentaire.

Ensuite, comme les bénéfices de cette approche sont importants, il faut se lancer sans attendre la réglementation et faire le diagnostic tel qu’il est recommandé dans le projet de directive.

 

Cette approche par les risques et la double matérialité permettra aux entreprises de construire les business models de demain résilients et adaptés aux crises actuelles multiples et de commencer à répondre aux attentes de gouvernance responsable.

 

Auteure : Catherine Jagu, Freelance People4Impact, Experte RSE et vigilance intégrée

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