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Les risques financiers et économiques liés à la perte de la biodiversité marine

Par Joana Foglia, le

Photo Unsplash x Joana F.

La perte de biodiversité engendre des risques systémiques majeurs qui demeurent encore largement sous-évalués. Cependant, il est désormais admis que l'économie et la finance sont étroitement liées à la santé de la biodiversité.

Etat des lieux des impacts négatifs sur la biodiversité

Selon le World Economic Forum, plus de 50% du produit intérieur brut mondial dépend d'une biodiversité robuste (44 à 50 000 milliards de dollars), si on prend en compte les coûts de conservation et de restauration des écosystèmes.

Dans son rapport de septembre 2021, la Banque de France a signalé que 42% de la part des titres détenus par les institutions financières françaises proviendraient d'entreprises fortement ou très fortement tributaires d'au moins un service écosystémique.

À titre d'exemples, rappelons que 4 milliards de personnes dans le monde dépendent de médicaments naturels, et que 70% des traitements contre le cancer sont inspirés par la nature ou en sont issus, ce qui signifie qu’une perte de la biodiversité est un risque pour la santé humaine.

Autre exemple parmi tant d’autres : 3,3 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale, dépendent de la pêche pour couvrir ses besoins en protéines. Pas moins de 60 millions de personnes travaillent dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture à travers le monde. Or, 93% des stocks halieutiques sont pleinement exploités et 35% sont surexploités (WWF). La perte de la biodiversité marine implique un risque majeur pour la sécurité alimentaire.

De fait, la biodiversité représente un enjeu de santé publique, de sécurité alimentaire, mais aussi, économique et financier (crédits, marchés, liquidité, opérationnel, assurantiel), et géopolitique (migrations). Et pourtant, elle n’est toujours pas assez prise en compte par les entreprises. 25 % des espèces étudiées sont menacées d’extinction : les scientifiques parlent de l’anthropocène, une sixième extinction de masse en cours, dont la première causée par l’homme.

 

Mesurer et agir à l’échelle internationale

Les entreprises génèrent un impact sur la biodiversité au travers de leur production, mais également sur l’ensemble de leur chaîne de valeur (depuis l’approvisionnement au transport, en passant par l’utilisation du produit, la gestion des déchets à tous les stades de la chaine, et du cycle du vie du produit). Les externalités négatives de ces impacts ont des conséquences majeures sur la santé humaine, la biodiversité, la qualité de l’air et de l’eau, le réchauffement climatique etc…

Toutefois, quantifier cette perte et évaluer le coût de restauration des écosystèmes s'avère plus complexe que l'analyse des émissions de carbone. En économie, le concept de « capital naturel » renvoie à un stock qui génère des flux de « services écosystémiques ».

À titre illustratif, Costanza et al. (2014) estiment dans une étude actualisée que la valeur annuelle des services écosystémiques atteint $125 000 milliards, soit environ 1,5 fois le produit intérieur brut mondial de l'époque. 

 

Des décisions au niveau mondial ont été prises, avec notamment l’accord de Kunming Montréal durant la COP 15 qui prévoit 23 mesures dont celles de protéger 30% de la planète d'ici 2030 ; de restaurer 30% des écosystèmes ; de réduire l'impact des pesticides et d’augmenter les financements en faveur de la protection du vivant. Le Traité international de protection de la haute mer BBNJ adopté après 2 décennies de négociation permet d’assurer la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine dans les eaux internationales (la haute mer équivaut à 60% des océans !).

 

Les leviers d’action des entreprises et des acteurs de la finance durable

Des mesures de reporting s’intensifient, notamment avec la loi climat qui exige que les investisseurs prennent en compte et divulguent les risques climatiques liés à la biodiversité.

Afin d’améliorer la compréhension des risques financiers, il est conseiller de :

  • mieux identifier les impacts et canaux de transmission potentiels : connaissance de l’intégralité de la chaine de valeur grâce à une analyse ESG
  • mieux apprécier la substituabilité limitée des services écosystémiques et la non-linéarité des écosystèmes (propagation entre secteurs économiques et entre institutions financières)
  • adopter une approche qui prend en compte la « double matérialité » du risque
  • évaluer notre dépendance (économique, financière, sociale, culturelle…) à la biodiversité et penser chaque perte en capital perdu et coût de restauration - si tant est que cela soit possible

 

En plus des exemples déjà fournis, la biodiversité reste aujourd’hui également, le moyen le plus avancé, le plus opérationnel, et générant le moins d’impacts négatifs collatéraux de :

     1. Séquestrer le carbone :

Rien qu’aux États-Unis, les mangroves captureraient chaque année près de 8 millions de tonnes de carbone selon l’Agence gouvernementale météorologique américaine, soit ce que rejettent 1,7 million de véhicules.

    2. Réduire les risques d’inondation :

Le montant annuel de la réduction du risque d'inondation fournie par les récifs coralliens américains s'élève à plus de $1.805 milliards.

    3. Assurer la sécurité de la chaine alimentaire :

500 millions de personnes dépendent des récifs coralliens pour se nourrir, se protéger et préserver leurs moyens de subsistance.

La dégradation de ces services écosystémiques affecte les sociétés à plus ou moins court terme. Les investisseurs doivent donc adopter une réflexion à plus long terme, dépasser la pure performance financière, et élargir leur analyse en introduisant ces données extra-financières, dont le coût de destruction de la biodiversité, de préservation et de restauration si tant est que cela soit possible.

 

Auteure : Joana F., Experte People4Impact - Finance Durable

Joana Foglia, Consultante spécialisée en Finance Durable, accompagne les acteurs privés et publics sur leur stratégie ESG et les projets liées à l'économie bleue.