Chronique4Impact

Quels sont les éléments marquants de 2023 en matière de devoir de vigilance ?

Par Claire de Hauteclocque, le

Photo Canva x Claire de H.

Alors même que les avancées en matière de devoir de vigilance commençaient à stagner tant au niveau national qu’européen, la fin d’année 2023 a marqué un tournant avec la première décision au fond[1] en France sur la loi devoir de vigilance française.

Une difficile mise en œuvre de la loi devoir de vigilance française

Depuis l’entrée en vigueur de la loi française sur le devoir de vigilance en 2017, les organisations de la société civile ont largement fait usage de cette loi à travers près d’une vingtaine de mises en demeure et recours en justice.

Pour rappel, le devoir de vigilance établit 2 avancées majeures :

  • Obligations pour les entreprises de mettre en place un système de management du risque sur leur chaîne de valeur à travers une cartographie des risques, une évaluation des partenaires commerciaux, un plan de prévention/mitigation des risques, des dispositifs de suivi, un mécanisme d’alerte, le tout en dialogue avec les parties prenantes. L’entreprise rend compte de sa démarche à travers un plan de vigilance.
  • Possibilité pour toute personne ayant un intérêt à agir de mettre en demeure l’entreprise de se mettre en conformité avec la loi et à défaut la poursuivre en justice.

L’aspect novateur de cette réglementation réside également dans la largeur de son périmètre tant thématique que géographique. En effet, le devoir de vigilance s’applique aux atteintes portées aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des personnes et à l’environnement, en France et partout où les activités de l’entreprise peuvent avoir un impact direct ou indirect.

Bien que cette loi soit très prometteuse du fait de sa pertinence pour adresser les risques liés à la mondialisation, sa mise en œuvre s’est avérée difficile, en particulier sur le volet accès au droit des victimes. Jusqu’à décembre dernier, aucun des recours en justice intenté n’a pu être jugé au fond. Les affaires (notamment Total Ouganda, Total Climat, Suez, BNP) ont toutes été rejetées sur la forme[2]. Ces rejets successifs ont réellement questionné l’effectivité de cette loi et la possibilité d’un jour obtenir la condamnation d’une entreprise.

 

L’arrêt la Poste, une décision historique

L’arrêt la Poste du 5 Décembre 2023 est en cela une date charnière : c’est la première décision au fond du juge sur une affaire fondée sur le devoir de vigilance, qui plus est donnant lieu à une condamnation de l’entreprise à revoir son plan de vigilance.

Que faut-il retenir de cette décision ?

1.     La Poste, un « bon élève » condamné à revoir son plan de vigilance

Dans cette décision, le juge a condamné la Poste à revoir son plan de vigilance. Pourtant, sur plusieurs points leur plan de vigilance paraissait plus ambitieux que ceux mis en place dans d’autres entreprises : une cartographie présentant le détail de la méthodologie et un certain niveau de détails sur le périmètre (fournisseurs, filiales concernés), des procédures d’évaluations fondées sur une triple approche (auto-évaluation, audit documentaire, audit sur site), une liste importante d’indicateurs partagée et consultation des représentants syndicaux à trois reprises.  

Et pourtant, ces mesures ont été jugées insuffisantes laissant supposer l’insuffisance des mesures de bons nombres d’autres entreprises.

2.     Besoin de plus de précisions

D’après le juge, la cartographie est « la première étape de l’élaboration du plan de devoir de vigilance qui revêt un caractère fondamental dans la mesure où ces résultats conditionnent les étapes ultérieures et donc l’effectivité de l’ensemble du plan ». D’où la nécessité d’apporter un fort niveau de précision sur des facteurs précis (secteur, nature de l’activité, localisation, etc.). La cartographie doit ensuite être une boussole pour toute la démarche : pour chaque étape du devoir de vigilance, il faut préciser en quoi ces mesures répondent bien aux risques identifiés et hiérarchisés dans la cartographie.

3.     Prise en compte de toute la chaîne de valeur

Le juge vient ici clore un débat de longue date : est-ce que le devoir de vigilance s’arrête aux fournisseurs de rang 1 ou concerne toute la chaîne de valeur ? Le juge a opté pour la seconde option en mentionnant explicitement le besoin de prise en considération de l’ensemble de la chaîne de valeur pour la cartographie des risques et pour le mécanisme d’alerte.

4.     Un renforcement du rôle des parties prenantes

Jusqu’à présent la loi sur le devoir de vigilance manquait de clarté quant à l’implication des parties prenantes. Le juge nous éclaire en faisant état de la nécessité de les intégrer lors de l’élaboration de la cartographie des risques, du mécanisme d’alerte et des mesures adaptées.

 

En l’absence de lignes directrices précises sur le devoir de vigilance et de décret d’application, cette première décision du juge sur le fond est bienvenue pour permettre aux entreprises de mieux appréhender leurs obligations découlant du devoir de vigilance. On ne peut donc que conseiller aux entreprises d’analyser en détail cette décision et d’adapter leur démarche en fonction. 

[1] Le fond d'un procès correspond à tous les éléments constitutifs d'un dossier, à savoir les faits (auditions des témoins, preuves, etc.). Cela correspond à l'objet même du procès. Ici le non-respect des obligations découlant du devoir de vigilance.

[2] La forme concerne uniquement ce qui relève d'erreurs de procédure ou d'erreurs d'interprétation du Droit en tant que tel.

 

Auteure : Claire de H., Experte People4Impact 

Consultante en développement durable et Juriste en droits humains, Claire de Hauteclocque accompagne les entreprises dans la structuration de leur stratégie RSE, et plus particulièrement sur les enjeux d’achats responsables et de devoir de vigilance.